L’Établi de Mathias Gokalp, sorti en avril dernier, nous plonge dans les années 60, juste après les grands mouvements de grève de Mai-Juin 1968. Dans un contexte où les accords de Grenelle ont été signés, signifiant l’abandon de la lutte au profit de négociations, beaucoup de jeunes et d’ouvriers voient la capitulation des syndicats comme une trahison de la révolution. Ils s’organisent et forment la Gauche Prolétarienne (GP), une organisation maoïste luttant pour la révolution socialiste. Le film est basé sur le livre autobiographique écrit par Robert Linhart, qui était à l’époque un militant de la Gauche Prolétarienne[1].
Les étudiants et universitaires de la GP faisaient ce qu’on appelle des « établissements » : ils se faisaient embaucher dans des postes ouvriers afin de mener des grèves et soutenir la lutte de la classe ouvrière dans la révolution. Dans L’Établi, nous suivons le personnage de Robert Linhart, un professeur d’université qui se fait embaucher à l’usine Citroën de Choisy.
À travers ses yeux nous découvrons les cadences infernales, les risques et les humiliations auxquels font face quotidiennement les ouvriers de l’usine. Mais aussi la division raciste du travail, les conditions terribles et la précarité des ouvriers immigrés. La cruauté des petits chefs et les tactiques fourbes des patrons pour décourager, pacifier et diviser la classe ouvrière au sein de l’usine. Le film critique également la trahison des syndicats, leur pacifisme face à la lutte naissante.
À l’usine Linhart vit un choc physique, culturel et psychologique, mais aidé de ses camarades et aux côtés de ses collègues, il persévère, car il est guidé par sa conviction profonde qu’il faut détruire le capitalisme dans la lutte du prolétariat.
Le film raconte comment les ouvriers de l’usine s’organisent avec Robert pour former un comité de lutte et lancer une grève massive dans Citroën. C’est incroyablement motivant et encourageant de voir comment s’organise la grève, comment les ouvriers font triompher l’optimisme révolutionnaire et font tenir l’unité de la classe face à l’intimidation, les menaces et la propagande patronale. Quand les ouvriers commencent à débrayer la chaîne principale de la production des 2 CV, les cœurs palpitent de joie et on a envie de bondir de son siège pour les suivre dans la grève, chanter L’Internationale…
Malgré la lutte acharnée, le film se termine sur une note de défaite, car l’élan révolutionnaire des révoltes de mai 68 n’est pas repris largement. Les leaders de la grève se font virer et pousser à la porte par les patrons. Linhart revient à sa vie d’avant comme tant d’anciens établis, avec le cœur abîmé, mais sans jamais liquider ses convictions.
Si nous vous recommandons chaudement de voir L’Établi, il mérite quand même quelques critiques. Le film manque de contextualisation et de contenu idéologique : seules quelques citations ou mentions de Marx et Mao sont glissées par ci par là. L’Établi peine à montrer le cœur de ce qui était porté par ces militants « maos » à l’époque : la lutte contre le révisionnisme[2] et la lutte pour la révolution socialiste. Le film peine également à montrer l’image réelle de ce qu’était la Gauche Prolétarienne, une organisation avec une base ouvrière considérable. Une base qui est restée sans renommée aucune, contrairement aux intellectuels qui ont trahi et dont on entend encore souvent les noms aujourd’hui. La base, elle, n’a jamais trahi ou quitté l’usine. Elle continue à aspirer à la révolution et achète encore la Cause du Peuple.
[1] La Cause du Peuple était d’ailleurs l’organe de presse de la Gauche Prolétarienne, en 1968.
[2] Le révisionnisme est un courant de pensée bourgeois au sein du mouvement ouvrier international ; c’est une forme d’opportunisme qui brandit le drapeau marxiste pour combattre le marxisme.