Un bateau de pêche transportant quelques 700 passagers et passagères a chaviré le 14 juin dans les eaux internationales, au large de la péninsule grecque du Péloponnèse. Des témoignages affirment que le naufrage se serait produit lors d’une opération de « pushing », c’est-à-dire de refoulement illégal de migrants par les garde-côtes grecs.
104 personnes ont finalement été secourues, mais cinq fois plus sont portées disparues. C’est le bilan humain le plus lourd depuis le 3 juin 2016 où au moins 320 personnes avaient péri dans un semblable naufrage. En novembre dernier, deux naufrages le même jour en mer Égée avaient fait au moins 21 morts et de nombreux disparus. Mais si nous ne nous bouchons pas les oreilles nous savons que ces noyades sont quotidiennes. Elles sont finalement devenues acceptables tant qu’elles ne dépassent pas quelques dizaines de victimes. Quand les noyades dépassent plusieurs centaines d’un coup, l’écho médiatique force l’émotion. Ainsi la Grèce a observé trois jours de deuil, à l’initiative du Premier ministre de droite.
Pourtant l’embarcation avait été repérée mardi après-midi par un avion de Frontex, l’Agence européenne de surveillance des frontières, mais les migrants à son bord auraient refusé toute aide, d’après les autorités portuaires grecques, qui précisent qu’aucune des personnes à bord n’était équipée d’un gilet de sauvetage. Ainsi, garde-côtes, militaires et autorités politiques seraient exempts de toute responsabilité comme de tout reproche.
Les passeurs seraient les grands fautifs de ces tragédies qui se déroulent au large de la Tunisie, de l’Italie, de l’Espagne, de la Libye, dans la Manche comme dans l’Océan Indien. Cependant, la législation fabrique les contrevenants, et en l’occurrence, les lois restreignant les libertés de circulation transforment en clandestins et en délinquants pratiquement tous les demandeurs d’asile et les exilés aux frontières de l’Europe.
Journalistes, universitaires et politiciens s’escriment à distinguer différentes catégories d’exilés : économiques, climatiques, demandeurs d’asile, etc. Mais en réalité tous les exilés sont réduits à leur rôle d’agent économique, de facteurs d’un système de production. De ce point de vue l’exilé est une ressource extraordinaire pour le capitalisme.
C’est une main d’œuvre ultra-qualifiée ou sous-qualifiée mais toujours à bas coût pour les employeurs, assurant des flux de capitaux très rémunérateurs, par exemple par l’envoi d’argent aux familles dans les pays d’origine. Cependant ces populations sont les boucs émissaires désignées pour endosser la responsabilité du chômage, des mauvais salaires, de l’insécurité, des épidémies. D’autres les désignent comme le salut de la croissance, la jeunesse au secours des pays industriels vieillissant, du sang neuf pour la vieille Europe.
Le point de vue humaniste que prétendent porter les États européens semble ne plus avoir cours. L’idée d’accueillir quelqu’un sans en tirer profit est étrangère à la logique capitaliste. Ces naufrages constituent une variable d’ajustement. Il s’agit de réévaluer le coût d’une traversée, le coût d’une vie hors régime assurantiel, le coût de la surveillance des frontières, et finalement, le coût d’une heure de travail d’un des survivants. Sachant que le risque d’un retour forcé à l’étape précédente ou au point de départ retire à la plupart l’envie d’exercer leur droit de grève ou de syndiquer, c’est une main d’œuvre particulièrement docile pour le patronat.
Les revendications minimales des révolutionnaires consistent alors en la régularisation immédiate des étrangers et étrangères résidant en Europe qui en font la demande, et d’autre part l’ouverture des frontières et un accueil digne pour chacun et chacune.