En 2021, la Chine et la Russie ont prolongé de 5 ans le traité « de bon voisinage, d’amitié et de coopération » qui existe entre les deux puissances impérialistes depuis 20 ans. Début février, à l’occasion des Jeux Olympiques d’hiver en Chine boycottés par les occidentaux, les Russes et les Chinois ont signé une alliance stratégique dont le titre est : Déclaration conjointe de la Fédération de Russie et de la République Populaire de Chine sur les relations internationales entrant dans une nouvelle ère et le développement durable mondial.
Cette déclaration expose la stratégie sino-russe mise en place pour tenter d’éviter l’écrasement face à la superpuissance hégémonique états-unienne. Il n’est pas anodin que ce rapprochement s’accélère alors que la crise ukrainienne bat son plein. La Russie comme la Chine ont besoin d’assurer leurs arrières, de se renforcer afin que leurs impérialismes respectifs puissent résister et tenter de concurrencer l’impérialisme US. Toutes ces tensions sont l’expression de la crise de pourrissement de l’impérialisme, qui s’est accélérée depuis la COVID-19. Chaque impérialisme tente à sa façon et avec ses moyens de restructurer son économie et de grapiller le maximum dans le repartage du monde actuel. Cette lutte pour le repartage du monde développe la tendance à la 3e guerre mondiale, dont la base est l’affrontement Chine-US, mais aujourd’hui l’affrontement se cristallise dans le conflit Russie-USA au sujet de l’Ukraine et de l’élargissement de l’OTAN. Mais si les impérialistes se battent entre eux, ils sont aussi en collusion pour continuer d’exproprier la richesse collective.
Cette tendance ne date pas d’hier. Le rapport sur la sécurité nationale américaine de 2017 soulignait : « La Chine et la Russie défient la puissance, l’influence et les intérêts américains en tentant d’éroder la sécurité et la prospérité américaines. Elles sont déterminées à rendre les économies moins libres et moins équitables, à développer leurs armées et à contrôler l’information et les données pour réprimer leurs sociétés et accroître leur influence ». Les USA, de manière unilatérale, ont établi des sanctions économiques contre les entreprises participant à la construction du gazoduc North Stream 2, dont font partie des entreprises allemandes. Dans ce cas précis, les sanctions américaines s’inscrivent aussi dans le cadre d’intérêts industriels et pétroliers nationaux qu’il convient de préserver et d’étendre en incitant avec insistance les Européens à acheter le gaz américain, y compris à un prix supérieur.
Les impérialistes américains savent que si rien n’est fait pour bloquer le développement de la Chine, alors elle mettra fin à un siècle de leur prédominance mondiale. Les faucons américains ont ressuscité le « Committee on the Present Danger » dont la tâche est de faire du lobbying pour développer un sentiment agressif contre la Chine. Ce comité, créé en 1940 contre l’Allemagne nazie puis réactivé en 1970 face à l’Union Soviétique, s’est fixé aujourd’hui la mission de « combattre le danger actuel : la Chine ».
Les USA mènent une guerre économique et politique (voir le Uygur Intervention and Global Humanitarian Unified Response Act of 2019, loi qui faisait suite à la Hong Kong Human Rights and Democracy Act of 2019) tous azimuts contre la Chine pour éviter d’être dépassés technologiquement. En mai 2019, Huawei, le premier fournisseur mondial d’équipements de télécommunications et le deuxième fournisseur de smartphones, a été inscrit sur une liste noire commerciale qui restreint son accès aux composants de haute technologie américains, tels que les puces et les logiciels. En outre, les ambitions technologiques de la Chine et ses prouesses croissantes en matière d’intelligence artificielle (IA) commerciale ont alarmé Washington, qui a placé en octobre 2019 huit sociétés sur une liste noire dont SenseTime. SenseTime est la deuxième plus importante start-up d’intelligence artificielle au monde, avec des investissements des géants de la technologie SoftBank et Alibaba ; elle a une valeur boursière de 7,5 milliards de dollars. Le ministère américain du Commerce a justifié cette démarche par le fait que ces entreprises avaient été impliquées dans des violations des droits humains contre les Ouïgours. Le FBI porte de plus en plus son attention sur l’espionnage économique et industriel chinois de la part d’étudiants chinois accueillis dans les universités américaines (360 000 en 2018). Le déficit commercial américain avec la Chine était de 419 milliards de dollars en 2018 et représentait 48 % de leur déficit commercial global, estimé à 879 milliards de dollars. L’interdiction d’acheter des technologies et des composants auprès d’entreprises américaines va ralentir l’essor des compagnies chinoises d’intelligence artificielle qui, jusqu’alors, avaient recours aux puces informatiques de sociétés américaines telles que Qualcomm et Nvidia.
Un quart des scientifiques, techniciens, ingénieurs et mathématiciens du monde sont, aujourd’hui, chinois. La Chine a la plus grande population de travailleurs en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM) au monde et celle qui connaît la croissance la plus rapide. Avec le développement de la 5G, c’est la première fois qu’un pays autre que les USA (et alliés) établit une norme industrielle internationale.
Dans ce cadre de guerre économique, la Russie a été exclue du G8 et la Chine n’a pu y rentrer. Mais avec l’accentuation de la crise économique, les USA doivent passer à la vitesse supérieure et mettre la pression au niveau militaire. Elargissement de l’OTAN en Europe en 2004 et 2009 (avec des missiles à 150 km de Saint-Pétersbourg), intransigeance sur la question ukrainienne, mais aussi création de l’AUKUS (le 15 septembre 2021), alliance militaire tripartite formée par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni, et plus généralement la réorganisation du dispositif militaire américain en Asie du sud-est.
La Chine et la Russie se sentent directement menacées par l’impérialisme US. Malgré les contradictions entre les deux pays dûes à la différence économique et démographique, le rapprochement est une nécessité pour créer un bloc eurasiatique à même de s’affronter au bloc US. La Chine a besoin du savoir-faire militaire Russe, notamment en termes de planification tactique et stratégique qui leur fait défaut. Les capacités technologiques et financières de la Chine offrent aussi des perspectives d’accéder en commun à des technologies de pointes en matière militaire de défense que le seul potentiel russe ne permettrait pas. C’est-à-dire que si la nécessité se présentait – et cela dépendra de l’agressivité des USA – la Chine et la Russie pourrait former une alliance militaire.
Tout cela n’est pas la Troisième guerre mondiale, mais une tendance allant vers celle-ci. Chaque acte, chaque nouvelle pression ou sanction des USA pousse toujours plus le monde vers une guerre inter-impérialiste. Lutter contre la guerre impérialiste est une nécessité démocratique que nous devons prendre en compte.